Dossier spécial : “Traditionis custodes” (4)

Source: FSSPX Actualités

Mgr Robert Mutsaerts

Troisième partie : Les réactions, entre attentisme et indignation

Dans le Motu proprio Traditionis custodes, le pape François met en œuvre toute une batterie de mesures destinées à circonscrire la messe tridentine, avec l’espoir de la faire disparaître au profit exclusif de la messe de Paul VI.

Cet acharnement incite à se poser des questions : La première a considéré les motivations affichées ou cachées de la lettre d’accompagnement. La deuxième s’est attachée à la question de fond : le lien entre le Concile et le novus ordo. La troisième considère les principales réactions au Motu proprio.

Dans l’ensemble les réactions des évêques à Traditionis custodes manifestent un attentisme prudent, même si certains d’entre eux – peu nombreux – expriment une vive indignation.

Interrogé sur les réactions prévisibles des évêques français, par Anne Le Pape dans Présent du 20 juillet, l’abbé Claude Barthe répond : « Leurs réactions seront diverses. Certains vont s’appuyer sur le texte du pape pour réprimer au maximum. D’autres seront simplement réalistes, ils ne vont pas allumer le feu chez eux.

« Je pense à l’évêque de Versailles, qui vient de publier un communiqué un peu difficile à interpréter mais qui a l’air de dire qu’il ne se passera rien pour l’instant. D’autres encore sont favorables, il n’y a pas de doute, à cette vie traditionnelle chez eux, même s’ils ne partagent pas les idées. Ils feront le gros dos, gagneront du temps...

« S’ils voulaient aller jusqu’au conflit, ils pourraient le faire, et même de manière canonique : le canon 87 § 1 dit que “chaque fois qu’il le jugera profitable au bien spirituel, l’évêque diocésain a le pouvoir de dispenser les fidèles des lois disciplinaires tant universelles que particulières portées par l’autorité suprême de l’Eglise pour son territoire ou ses sujets”. Cela ouvre bien des possibilités.

« Encore faut-il que l’évêque veuille agir. Or, contrairement à tout ce qu’on nous raconte sur la synodalité, c’est une synodalité à sens unique que nous constatons, qui ne vaut que pour les évêques qui pensent comme le pape. Mais quand ce n’est pas le cas…

« Citons ce mot de Mgr Roche, nouveau préfet de la Congrégation pour le culte divin, qui récemment, devant un groupe d’Anglo-Saxons, a dit expressément – en riant : “Nous allons détruire Summorum pontificum. Le pouvoir liturgique sera donné aux évêques… mais pas aux évêques conservateurs !” »

Sur le site Aleteia du 21 juillet, les réactions épiscopales sont envisagées de façon irénique. Le communiqué de la Conférence des évêques de France du 17 juillet est ainsi présenté comme jouant « la carte de l’unité et de l’apaisement » :

« Les évêques “souhaitent manifester aux fidèles célébrant habituellement selon le missel de Jean XXIII et à leurs pasteurs, leur attention, l’estime qu’ils ont pour le zèle spirituel de ces fidèles, et leur détermination à poursuivre ensemble la mission, dans la communion de l’Eglise et selon les normes en vigueur”, ont-ils déclaré.

« “Chaque évêque aura à cœur d’être à la hauteur des enjeux décrits par le Saint-Père afin d’exercer la responsabilité qui lui est rappelée dans la justice, la charité, le soin de tous et de chacun, le service de la liturgie et de l’unité de l’Eglise”, poursuivent-ils. “Cela se fera par le dialogue et demandera du temps”, préviennent-ils. » – C’est ce qu’on appelle la « langue de buis ».

Mgr Luc Crepy, évêque de Versailles – cité plus haut par l’abbé Barthe – a expliqué avoir constaté « une situation apaisée » dans le diocèse depuis son arrivée, en avril 2021. Il réunira les prêtres desservant les communautés concernées au mois de septembre. « D’ores et déjà, je leur ai renouvelé ma confiance et mon désir de continuer ensemble sur ce chemin d’unité », a-t-il déclaré, en attendant la rentrée.

Dans un long communiqué, Mgr Marc Aillet, évêque de Bayonne, Lescar et Oloron, a attesté « que les prêtres assurant dans le diocèse de Bayonne le service de la liturgie selon le Missel de 1962, adhèrent pleinement au concile Vatican II, reconnaissent la légitimité du Missel de 1970, expression par excellence de la lex orandi de l’Eglise latine, et cultivent un sens aigu de la communion ecclésiale en participant activement aux manifestations et célébrations, comme aux orientations pastorales et missionnaires du diocèse. (…)

« Je veux leur redire ma confiance et les invite à poursuivre leurs efforts dans le même sens, dans l’esprit du nouveau Motu proprio Traditionis custodes », a-t-il ajouté.

Du côté des communautés Ecclesia Dei, directement concernées par Traditionis custodes, c’est l’incompréhension qui domine, renforcée par l’impression que leur fidélité romaine n’est guère prise en considération.

La Fraternité Saint-Pierre a reçu le Motu proprio « avec étonnement ». Dans un communiqué non signé, elle se dit « profondément attristée par les motifs invoqués afin de limiter l’usage du missel de saint Jean XXIII (sic) » et ajoute qu’« il est surprenant que ne soient pas évoqués les nombreux fruits visibles dans les apostolats attachés au missel de saint Jean XXIII (sic) ».

« L’incompréhension est profonde chez les fidèles », déclare le chanoine Louis Valadier, provincial de France de l’Institut du Christ-Roi, alors que l’abbé Mateusz Markiewicz, supérieur du district d’Europe de l’Institut du Bon Pasteur, qualifie dans Famille chrétienne du 17 juillet le Motu proprio « d’acte contre la charité, parce que nous ne savons pas sur quoi s’appuient les accusations portées à notre encontre ». 

Traditionis custodes, un « oukase maléfique »

Plus vive est la réaction de Mgr Robert Mutsaerts, évêque auxiliaire de Bois-le-Duc aux Pays-Bas, qui n’hésite pas à présenter le Motu proprio comme un « oukase maléfique » : « Cela ressemble à une trahison et c’est une gifle [du pape] au visage de ses prédécesseurs.

« L’Eglise n’a jamais aboli les liturgies. Pas même le concile de Trente. François rompt complètement avec cette tradition. Le Motu proprio contient quelques propositions et injonctions brèves et fortes. Tout cela est rendu plus explicite par le biais d’une déclaration jointe [la lettre d’accompagnement aux évêques], plus longue.

« Cette déclaration contient un certain nombre d’erreurs factuelles. L’une d’elles est l’affirmation selon laquelle ce que Paul VI a fait après Vatican II serait identique à ce que Pie V a fait après Trente. C’est complètement faux. N’oubliez pas qu’avant cette époque, divers manuscrits (surchargés) circulaient et que des liturgies locales étaient apparues ici et là. C’était la confusion.

« Le concile de Trente avait pour but de restaurer les liturgies, éliminer les inexactitudes et vérifier l’orthodoxie. Trente ne s’occupait pas de réécrire la liturgie, ni de faire de nouveaux ajouts, de nouvelles prières eucharistiques, un nouveau lectionnaire ou un nouveau calendrier.

« Il s’agissait simplement d’assurer une continuité organique ininterrompue. Le missel de 1517 est revenu au missel de 1474 et ainsi de suite jusqu’au 4e siècle. Il y a eu une continuité à partir du 4e siècle. Après le 15e siècle, il y a également quatre siècles de continuité. »

Et de dénoncer la véritable révolution liturgique opérée par le Novus Ordo Missæ : « On ne retrouve que 17 % des prières de l’ancien missel (Trente) dans le nouveau missel (Paul VI). Il est difficile de parler de la continuité d’un développement organique.

« Benoît XVI l’a reconnu et, pour cette raison, a donné une large place à l’ancienne messe. Il a même dit que personne n’avait besoin de sa permission (“Ce qui était sacré alors, l’est toujours aujourd’hui”).

« Le pape François fait à présent comme si son Motu proprio s’inscrivait dans le développement organique de l’Eglise, ce qui est en contradiction totale avec la réalité. En rendant la messe en latin pratiquement impossible, il rompt avec la tradition liturgique séculaire de l’Eglise catholique romaine.

« La liturgie n’est pas un jouet des papes, mais l’héritage de l’Eglise. L’ancienne messe n’est pas une question de nostalgie ou de goût. Le pape doit être le gardien de la Tradition ; le pape est le jardinier, pas le fabricant. Le droit canonique n’est pas seulement une question de droit positif, il y a aussi le droit naturel et le droit divin, et il y a aussi, par-dessus tout, la Tradition, qui ne peut pas être simplement balayée.

« Ce que fait ici le pape François n’a rien à voir avec l’évangélisation et encore moins avec la miséricorde. Il s’agit plutôt d’une idéologie. Allez donc dans une paroisse où l’ancienne messe est célébrée. Qu’y trouverez-vous ? Des gens qui veulent simplement être catholiques. […] C’est de l’idéologie : c’est Vatican II, y compris sa mise en œuvre avec toutes ses aberrations, ou rien ! »

Et de conclure énergiquement : « Je n’entends jamais le pape Bergoglio parler des nombreux abus liturgiques qui existent ici et là dans d’innombrables paroisses. Dans les paroisses, tout est possible, sauf la messe tridentine.

« Toutes les armes sont jetées dans la bataille pour bannir la messe traditionnelle. Pourquoi ? Pour l’amour de Dieu, pourquoi ? Quelle est cette obsession de François à vouloir éradiquer ce petit groupe de traditionalistes ? Le pape doit être le gardien de la tradition, et non le gardien de la prison. »

Le 23 juillet, Mgr Athanasius Schneider, évêque auxiliaire de Nousoultan (Astana) au Kazakhstan, accordait un entretien à Diane Montagna dans The Remnant, où il déclarait : « Le Motu proprio et la lettre qui l’accompagne commettent une injustice à l’égard de tous les catholiques qui adhèrent à la forme liturgique traditionnelle, en les accusant d’être source de division et de rejeter le concile Vatican II.

« En fait, une partie considérable de ces catholiques se tient loin des discussions doctrinales à propos de Vatican II, du Novus Ordo Missæ, et d’autres problèmes liés à la politique ecclésiastique. Ils veulent simplement adorer Dieu dans la forme liturgique par laquelle Dieu a touché et transformé leurs cœurs et leurs vies. »

Plus loin, il annonce un effet contraire au but recherché par le Motu proprio : « Il aura un effet boomerang. Les nombreuses familles catholiques et le nombre toujours croissant de jeunes et de prêtres – en particulier de jeunes prêtres – qui assistent à la messe traditionnelle, ne pourront pas permettre que leur conscience soit violée par un acte administratif aussi radical.

« Dire à ces fidèles et à ces prêtres qu’ils doivent simplement être obéissants à ces normes ne fonctionnera pas avec eux, en définitive, parce qu’ils comprennent qu’un appel à l’obéissance perd son pouvoir quand le but est de supprimer la forme traditionnelle de la liturgie, le grand trésor liturgique de l’Eglise romaine. »

Et de constater : « La diffusion admirable, harmonieuse et tout à fait spontanée de la forme traditionnelle de la Messe et sa croissance continue, dans presque tous les pays du monde, y compris dans les terres les plus reculées, est sans aucun doute l’œuvre de l’Esprit Saint, et un véritable signe de notre temps.

« Cette forme de la célébration liturgique porte de véritables fruits spirituels, en particulier dans la vie des jeunes et des convertis à l’Eglise catholique, car beaucoup de ces derniers ont été attirés à la foi catholique précisément grâce au pouvoir irradiant de ce trésor de l’Eglise. »